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En finir avec l’ancien régime

Pendant bien longtemps, j’ai ressenti un hiatus dans mes échanges avec des personnes qui défendaient des idées à connotation progressiste. Jusqu’à un certain point, la discussion prenait la forme d’un enrichissement mutuel où nos accords s’approfondissaient sur le fond tout se différenciant sur de nombreux points d’appréciation. Jusqu’à ce que, au cours de l’échange, il devienne pattant que les socles argumentatifs sur lesquels nous nous appuyions étaient inconciliables.

Le déclic m’est venu de manière totalement incidente. Donnant des cours à Rennes, l’ami qui m’hébergeait habitait dans un grande bâtisse découpée en appartements, pour la location. Il m’expliqua les réactions négatives de son entourage militant au fait qu’il se soit installé dans un « château ». Franchement, ça ne m’avait pas frappé. En y regardant de près, ça ne ressemblait pas à un château, tout au plus à une grande baraque comme celles que les bourgeois pétés de thunes se sont faites construire au XIXè siècle, dans le style "château". Il y avait donc manifestement une différence d’appréciation sur le statut du lieu. En creusant la question, cet ami m’expliqua que la famille qui exploitait la ferme attenante se référait au propriétaire de la bâtisse comme au Monsieur, au maître. Le statut de la bâtisse découlait du statu du propriétaire qui y avait habité. Fort peu semblaient parvenir à s’y soustraire.Les fermiers s’y référaient avec respect. Les militants avait du mal à concevoir que l’on puisse habiter un tel lieu sans s’exposer à son emprise…

Du coup, j’ai réalisé à quel point l’ancien régime était encore présent, en France métropolitaine, à la veille du 21 siècle ; quelque chose de beaucoup plus profond et enraciné que la monarchisation des exécutifs de la 5è république qui n’est même plus un sujet de polémique. Comme souvent, lorsque disparaît un point aveugle de notre compréhension, on réalise à quel point la part de réalité qui nous échappait est omniprésente.

D’où l’idée de réunir certaines observations autour de cette thématique. En pleine offensive réactionnaire (néo-libéraux, néo-conservateurs, religieux, racistes, sexistes…), la réflexion que cela sollicite peut sembler détourner de l’« essentiel ». Je n’en crois rien. Au contraire, certaines des impasses politiques dans lesquelles nous nous sommes retrouvéEs au cours des dernières décennies doivent beaucoup à la survivance de schèmes de pensée archaïques. Tantôt, les mouvements dans lesquels nous nous sommes impliquéEs se sont trouvés incapables de construire ou maintenir les unités politiques indispensables pour les faire aboutir. Tantôt, l’agilité idéologique de nos adversaires politiques leur a permis de jouer sur les charnière archaïques de nos argumentations, parvenant ainsi à fragiliser le sens commun que nous attachions aux fondements et aux objectifs de nos mobilisations.