Accueil > Mes prises de tête > La tyrannie du genre

La tyrannie du genre

Ou comment un concept émancipateur peut devenir un obstacle à l’émancipation.

samedi 18 septembre 2004, par Flaz

Réaction à un article de HollyBoswell, « l’alternative
transgendériste
 ».

La notion de genre permet de penser le décalage que l’on peut
observer entre la détermination génétique du
sexe (et les caractères biologiques associés) et
l’identité. En faisant valoir la primauté de l’identité
sur la détermination biologique, la notion de genre est un
appui pour la reconnaissance sociale de droits pour les transsexuels.
Les principales revendications sont liées à la
transformation dès lors définie comme la mise en
adéquation de caractères biologiques avec une identité
de genre dont on reconnaîtrait la suprématie.

Cette notion de genre reste pourtant engluée dans la notion de
sexe qu’elle prend comme référent. Qu’est-ce que le
genre si ce n’est la conscience (ou l’intime ressenti) du sexe ? Dès
lors, ce sont les catégories avec lesquelles ont pense
l’identité qui plient devant les catégories
biologiques. On revendique « simplement » la
primauté de l’une sur l’autre.

Pourtant, les limites de la notion elle-même apparaissent
lorsqu’on veut penser les situations où l’identité ne
parvient pas à s’exprimer dans les termes binaires
(bipolaires) du sexe. On tourne alors autour du pot, en évoquant
le « transgenre ». La question est de savoir
si ce transgenre est un troisième genre que l’on appellera
parfois troisième sexe1.
Comme si le genre devait fatalement être associé à
un sexe. Or la question centrale du « genre »
est bien celle de l’autonomie de la notion. Autrement dit, peut-on
penser un genre sans référence à un sexe ?
Évidemment non, et toutes les tentatives en ce sens ne
conduisent qu’à affaiblir la notion de genre2.
La question est donc celle la construction de l’identité, sans
considérer le sexe biogénétique (et donc le
genre) comme un déterminant principal. Autrement dit,
l’individu doit pourvoir se définir et s’épanouir sans
avoir à se soumettre à l’injonction sociale qui lui
intime de répondre à la question : « de
quel genre suis-je ? ». Car la notion de genre ne
fait qu’importer, telle quelle, la notion de sexe dans le registre de
l’identité et affirmer que le genre est constitutif de
l’identité impose à quiconque de devoir définir
son genre pour pouvoir se définir totalement et jouir d’une
reconnaissance sociale pleine et entière..

Le problème vient de la confrontation de l’individu, dans sa
construction identitaire, avec la hiérarchie de normes
véhiculées par les codes sociaux dominants. Or ceux-ci
imposent que le sexe serve de référence à
distribution des rôles, des attitudes, des comportements, des
émotions. Ainsi tout individu est sommé de s’inscrire
dans une structure de genre. Cette inscription est plus ou moins
conflictuelle. Dès lors que l’on met en question la naturalité
de cette surdétermination, il semble logique que l’entreprise
de conformation de l’identité à un schéma de
genre, nécessairement violente, soit plus ou moins réussie.
Du décalage entre l’identité et le schéma de
genre, de la possibilité d’appropriation par chaque individu
des libertés possibles vis à vis de ce schéma,
découlera la profondeur du mal-être. Dans cette analyse,
tous les individus, « cisgenre » ou
« transgenre », sont appréhendés
selon les mêmes catégories. La typologie de la galaxie
transgenre, légitimement préoccupée de fonder
son unité, met, au contraire, en avant ses propre éléments
de différenciation vis à vis des personnes cisgenre.

Nous proposons de penser ces différenciations (de même
que celles entre trans et cis) comme de simples stratégies
d’adaptation visant à réduire la souffrance vécues
par les personnes. Les catégories « trans »
ne définissent alors plus des « états »
mais des « parcours ». On reconstruit ainsi un
continuum différencié apte à rendre compte de ce
qui fonde l’unité du mouvement trans tout en reconnaissant les
terrains spécifiques de lutte ouvert par des stratégies
exemplaires, dans un contexte socio-culturel historiquement
déterminé.

On échappe ainsi à la hiérarchie d’états
implicite qui découle d’une définition de la
trangendérité comme une famille de dégradés
de la transexualité la plus « aboutie ».3
On lui substitue une variété de stratégies,
visant à répondre à des états de
décalages différents, vécus différemment.
Ainsi, les stratégies ne caractérisent nullement les
états et le chantier des catégories et notions
permettant d’appréhender ces états est alors pleinement
ouvert.

Une telle approche peu heurter. Elle va notamment à l’encontre
de l’expression la plus naturaliste du genre, celle qui voudrait que
l’on naisse fille ou garçon de genre, indépendamment du
sexe. Ce naturalisme rassure. Il désarme le ressort de la
culpabilité (fatalité) et feint d’objectiviser le
sentiment d’aliénation (je sens ce que suis, aliéné
dans un corps).

Dans notre approche, ou l’identité est plus a-générique
que trans-générique, se sentir homme ou femme, n’est
que l’expression d’une stratégie d’adaptation générique.
L’adaptation générique est le modèle dominant.
On entend par là que toute personne se définissant
comme homme ou femme, transexuelle ou non, s’aligne sur le même
modèle d’adaptation. Le fait que les contraintes qu’impose ce
modèle à la construction de la personne soient
efficaces (et par là même majoritairement adoptées)
tient au fait que la position de sexe (et par extension de genre)
traverse tous les aspects de la vie sociale et fournit donc, sous une
forme archétypique, autant de repères. L’inéficacité
du système, à une échelle de masse, découle
de l’artificialité des archétypes. L’aliénation
nait de la nécessité de conformité aux
archétypes, qui enjoignent d’être une autre personne que
soi-même pour pouvoir être soi-même. De la même
manière qu’une femme biologique optant pour une adaptation
générique conforme devra plier son corps et sa posture
sociale au modèle valorisant dominant, autrement dit devra se
conformer à l’image dominante de la femme pour être
pleinement reconnue comme femme (membre féminin à part
entière de la société), une MTF devra se plier
au même modèle. Ce que l’une a appris à être
l’autre aspire à le devenir. Leurs motivations sont,
fondamentalement, les mêmes. La légitimité de
leur aspiration est identique.


Certes, l’adaptation générique fonctionne comme un
attracteur puissant. Elle n’est cependant pas une panacée. Les
personnes pour lesquelles cette stratégie échoue n’en
sont que plus démunies. Incapables de s’inscrire dans la
méta-norme générique, leur identité perd
toute signification sociale. Leur expression identitaire est soit
fragmentée4,
soit en affrontement direct avec les normes et codes dominants. Elles
ne retrouvent leur unité qu’en tant que « créatures »,
c’est-à-dire des êtres vivants inclassables, socialement
insignifiants. Elles ne seront décrites que de manière
instersticielle, à travers des formes inscrites dans un
univers de signification reconnu : travestis, dragqueen, dragking,
shemale5,
etc... Point de salut hors de la détermination du genre, hors
de la dictature du sexe.


C’est contre cette dictature que sont insurgés les mouvements
féministes. Ils revendiquent précisément que les
« femmes » (membres des société
humaines de sexe féminin) soient considérées en
tant qu’être humain et citoyenne avant que d’être
considérée comme femelle de l’homme, avec les
caractéristiques sociales sensées en découler.
Plus précisément, elles contestent la naturalité
de l’état de femme, ce que résume la formule : on
ne nait pas femme, on le devient.

C’est contre la même dictature que s’insurge le mouvement gay
et lesbienne. Dans le registre particulier de l’orientation sexuelle,
il affirme l’autonomie du désir et revendique sa primauté.
Il conteste que les catégories nécessaires à la
description et à l’étude biologique de la reproduction
sexuée soient transposées, comme norme ou non, dans la
sphère de l’identité ou des comportements sociaux.

En s’arc-boutant sur la notion de genre, le mouvement trans risque de
rompre avec cette démarche fondamentalement émancipatrice6.
Il peut, parallèlement, être porteur de la forme la
plus exigeante d’adéterminisation par le sexe. En réfutant
le détermisme biologique dans tous les compartiments
(public/privé, majeur/futile, travail/loisirs) de la vie
sociale, et récusant toute classification sexuée des
rôles, assignations, comportements et attitudes, la
revendication trans peut avoir un effet unifiant.

Pourtant, cette potentialité de long terme, du fait de sa
radicalité, entre en contradiction avec des oppositions
pouvant naître d’objectifs partiels à plus court terme.

Sans même évoquer les dissensions dans la galaxie LGBT,
il peut exister des divergences d’intérêt au sein du
courant trans. Comme je l’évoquais précédemment,
l’affirmation du genre peut servir de point d’appui à nombre
de revendications transsexuelles. Elle peut entrer en résonance
avec des mouvements de la société de natures très
diverses. Ainsi, en affirmant l’existence d’un individu (identitaire)
normativement conforme, on peut exploiter, sur ses valeurs de fond,
le mouvement individualiste. Une fois cette étape franchie, on
peut exploiter (« a contrario ») la dictature
du corps en mettant sur un pied d’égalité la
revendication à un mieux être conforme (à une
marchandisation du corps), largement partagée, et celle à
un « être soi », dans une identité
conforme. Clairement, cette perversion des normes en vigueur les
renforce autant qu’elle les dilue. Elle rend difficile une
contestation radicale de ces mêmes normes, sans lesquelles les
formes d’identité hors normes (transgenre, ou trangendériste),
ne peuvent trouver de reconnaissance sociale. Il peut en résulter
une polarisation entre d’un côté une transexualité
canonique et « totale » (hormones, chirurgie,
état-civil) et un transgendérisme mineur (indéfini,flou
inassumé, etc.).


1Illustrant
ainsi le manque d’autonomisation de la notion genre vis à vis
de la notion de sexe.

2Ce
contre quoi s’insurgeront légitimement les transsexuels qui y
trouvent un appui.

3D’ailleurs,
seule la transexualité « totale » est
clairement définie, dans cette approche. Toute les autres
formes ne sont qu’esquissées, montrant bien le peu de prise
que nous donnes les catégories permettant de penser la seule
transexualité.

4À
elles de recoller ces fragments dans leur unité
bio-psychologique manifeste (qu’elle le veuille ou non, elle sont
« une » personne).

5Le
travesti est associé au registre de l’illusion, ce qui en
donne la définition. Un travesti est un homme dissimulé
en femme. Une drakqueen est associée au registre de l’art
et/ou de la provocation., la shemale accède à
l’existence sociale dans le registre de sexe marchandisé. En
plus d’emprunter des registres identifiés, tous ces
stéréotypes sont parfaitement définis en termes
de sexe. Autrement dit, leur définition ne contrevient pas la
l’impératif de détermination sexuée.

6Au
sens où elle permet à l’homme de se penser en des
termes renouvelés, dénaturalisés.

Messages

  • Florence a écrit : "L’aliénation naît de la nécessité de conformité aux archétypes, qui enjoignent d’être une autre personne que soi-même pour pouvoir être soi-même."

    De l’aphorisme d’un infatigable rhéteur surréaliste à la puissance d’une pensée structurée qui manie l’oxymore pour être plus percutante, voilà de beaux sujets de dissertation au moment où les candidats au bac vont plancher sur des sujets de philo dont la banalité le dispute à la pédanterie.

    L’être humain a une particularité qui fait sa force : il est adaptable à toutes sortes de situations et d’environnements, et quand il ne peut pas s’adapter il se réfugie dans la violence ou dans la folie, destruction chez les arriérés ou autodestruction chez les évolués. Le transgendérisme peut alors être lu comme étant une forme d’autodestruction, dans la mesure où on va déconstruire un état qui n’est pas satisfaisant en espérant par là-même construire dans un état radicalement différent un être plus épanoui. Bien peu y réussissent vraiment.

    Quand cette déconstruction - reconstruction se limite à un changement circonstanciel d’apparence (et d’appas rances, dirait Bérurier), le bénéfice est limité mais il est constructeur de la personne, et socialement sans effet destructeur. Quand le changement est plus radical, avec réassignation de genre allant jusqu’à la phase chirurgicale et toutes ses implications, il est destructeur (de l’aspect social) de la personne parce qu’il ne construit pas grand chose de plus en compensation, mais ce qu’il construit est si essentiel que ce seul miroir aux alouettes devient la carotte qui fait avancer, quel que soit le terrain, quelles que soient les difficultés, au point que la seule idée de devoir y renoncer serait en elle-même totalement insupportable et conduirait à l’autodestruction.

    Et après toutes les transformations, quelle est la personne ? LA MÊME, évidemment !

    Etre transgenre, écrit Morgane, sous le titre "souffrir pour être belle", c’est un état permanent, sous quelque avatar qu’on se présente. On se réveille transgenre et on se couche transgenre, bien loin de la dichotomie masculin / féminin véhiculée et imposée par les codes sociaux archaïques des sociétés dont la pensée fossile est issue de structures religieuses antédiluviennes.

    Le trav qui " s’habille " pour faire du sexe est transgenre, certes, mais transgenre est aussi celui qui sort avec son épouse, transgenre celui qui pratique en cachette et qui ne sortira jamais, transgenre également le type qui a des bas et un porte-jarretelles sous son bleu ou son costume 3-pièces... et transgenres toutes les femmes qui s’habillent et vivent au masculin, transgenres idem les trans opéré(e)s qui ont voulu aller au bout de leur identité de genre.

    Etre transsexuel(le) ressort de cet état, el le poussant au bout de sa logique. C’est finalement davantage une mise en adéquation du corps avec l’Être, quelles qu’en puissent être les aspects liés à la sexualité, qui ne ressortent pas du même déterminisme.

    Les psychiatres "officiels" autoproclamés compétents continuent à confondre identité de genre avec orientation sexuelle, ne montrant par là que l’immensité de leur bêtise et l’ignorance crasse dans laquelle ils se vautrent à loisir, tels certains volatiles multicolores qui poussent leurs cris dérisoires juchés sur des tas de fumier. Pauvre France !

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.