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Les Journées du matrimoine

dimanche 18 septembre 2022, par Flaz

Hier et aujourd’hui, comme tous les ans à cette période, depuis 2015, se déroulent les journées du matrimoine. Vous avez bien entendu, je n’ai pas prononcé de travers, je parle du bien du ma-trimoine !

Beaucoup se demanderont, mais d’où ça sort, ces « journées » ? Et puis c’est quoi, ce mot, le « matrimoine » ? Cette question est une belle illustration du problème ! Car le mot « matrimoine » était couramment utilisé au Moyen Âge, avant d’être banni par la révolution française, cette révolution bourgeoise qui a institué les droits de l’homme et du citoyen en prenant bien soin de préciser que les femmes en étaient privées ; des fameux droits ! Il aura fallu attendre plus de deux siècles pour qu’on déterre le mot matrimoine de là où le patriarcat bourgeois l’avait enseveli.

À l’origine le « matrimoine » désigne les biens dont on hérite par les mères exactement comme le « patrimoine » désigne ceux qu’on hérite des pères. Aujourd’hui, en France, on ne parle plus que de patrimoine, au prétexte que le masculin serait universel, désignant aussi bien ce qui nous vient de nos mères que de nos pères. Hé ben voyons ! La ficelle est un peu grosse. On nous a déjà fait le coup avec les droits de l’homme, universels, surtout pour les hommes. Et aujourd’hui encore, nous n’avons toujours pas les mêmes droits. Alors non ! Le masculin ne désigne rien d’universel. Quant à ce patrimoine économique universel, parlons-en ! Aujourd’hui, en France, alors que la différence de salaire entre les femmes et les hommes tend à se réduire, même de manière infime, la différence de patrimoine augmente, de plus en plus vite. Et ça va méchamment s’aggraver si les projets sexistes et néolibéraux du gouvernement sont mis en œuvre ! Mais revenons aux « Journées »


Hier et aujourd’hui on voudrait nous faire croire qu’on est très au dessus de ces choses bassement matérielles qui conditionnent notre quotidien, voire notre survie. On voudrait encore nous faire avaler qu’en matière artistique et culturelle, les « Journées du patrimoine » sont l’occasion de découvrir et de valoriser, indistinctement, la contribution des femmes ou des hommes à nos héritages culturels et artistiques. Ce serait croire que la création culturelle est une activité, suspendue dans les airs, préservée des rapports sociaux de pouvoir et de domination. Une espèce de truc divin, où la création jaillit du génie créateur, solitaire. Une image bien patriarcale de la création artistique… Cette croyance est d’autant plus pratique qu’elle permet d’occulter trois choses.

La première est que l’accès à la création artistique n’est pas le même qu’on soit une femme ou un homme. Même quand on y entre à « parité », il n’existe pas de secteur de formation artistique où les femmes ne sont pas confrontées aux violences patriarcales. Des violences qui, quand elles ne détruisent pas, laissent des traces, nous épuisent… Endurer ces violences et lutter contre elles est donc quelque chose que nous devons faire en plus de nos apprentissages et de la construction de notre expression artistique.

La deuxième est que, vivre économiquement d’une activité artistique, suppose d’avoir accès à un marché, des réseaux qui sont, eux aussi, envahis par le sexisme puisque dominés par le patriarcat. Pour une femme, réunir les conditions nécessaires pour exister artistiquement, n’est pas une condition suffisante. Ça ne l’est pour personne direz-vous ? C’est vrai… Mais d’une part, quelles que soient les difficultés rencontrées par toutes et tous, les femmes doivent en plus affronter un patriarcat en actes, agressif et obstiné dans la défense des privilèges masculins afin de continuer à tenir les positions de pouvoir, ou simplement obtenir des places. D’autre part, même quand elles exercent économiquement leur activité, elles en retirent moins de ressources, avec ce que cela implique de précarité supplémentaire.

La troisième est qu’on ne peut pas jouer les arbitres en disant : « OK, c’est dégueulasse, mais bon, le résultat est là ». « Le sexisme fait que l’art, celui qui compte, celui qui fait avancer l’art, celui qui a sa place dans l’histoire de l’art et donc tout naturellement dans les Journées du Pa-tri-moine est essentiellement masculin ». On ne peut pas le dire parce que c’est faux ! Parce qu’aussi loin qu’on remonte dans l’histoire de l’humanité, les femmes on créé ; depuis celles qui ont inscrit les mains négatives au fond des grottes préhistoriques, jusqu’à celles qui, en ce moment, créent, inventent ; en passant par celles qui ont participé à tous les mouvements artistiques, qui ont bouleversé nos conceptions, ouverts nos regard ou interrogé nos pratiques. Parce tant que ce sont des hommes qui décrètent quel est l’art qui compte, qui organisent la reconnaissance de la contribution des hommes comme ils organisent l’effacement de la contribution des femmes, qui contrôlent l’histoire de l’art, bref, tant que les hommes sont en situation de défendre leurs privilèges, le patrimoine reste une fiction pseudo-universaliste, une affaire de confrères, une affaire d’hommes.

Enfin, parce que la dégueulasserie n’a pas de limite, quand l’invisibilisation de la contribution des femmes artistes et l’appropriation de leur travail artistique par les hommes ne suffisent pas, il reste le vol pur et simple. Récemment encore, on découvrait qu’un artiste homme de renommée internationale avait dérobé à une artiste femme, une des œuvres considérées aujourd’hui comme majeures de l’art contemporain
Les Journées du matrimoine, sont donc l’occasion de mettre en lumière la contribution des femmes artistes, de faire une place à leurs créations, à leurs pratiques, à leurs sensibilités artistiques, à ce qui les anime, à ce sur quoi elles nous invitent à porter notre regard. C’est aussi l’occasion de déchirer le linceul déposé par le patriarcat sur leur œuvre et leur histoire ; ou carrément d’exploser la dalle de béton qui devait les ensevelir parce que des fois, ils sont allés jusque là.

Mais en tant que féministe, syndicaliste et révolutionnaire, je ne me satisfais pas d’une conception du matrimoine qui célébrerait une minorité, les femmes artistes, pour mieux les isoler sous couvert de les glorifier. Notre matrimoine ne se limite pas à la contribution des femmes dans les domaines artistiques ni même scientifiques. Il recouvre aussi bien la participation des femmes aux luttes contre le fascisme, aux luttes ouvrières ou aux révoltes paysannes. Il recouvre tout autant ce que les femmes imaginent, aux quatre coins du monde, pour entretenir la vie, dans un combat que nous livrons au quotidien. Sans oublier celles, toutes celles qui ont œuvré pour que notre aspiration à l’émancipation devienne un mouvement, portant cette exigence en actes, en production de savoirs, en organisation, en mobilisations et en luttes. Notre matrimoine est constitué de tout ce que nous ont légué les femmes qui nous ont précédées, de ce que nous partageons aujourd’hui, de ce que nous construisons et inventons ensemble. Il est vivant et nous sommes toutes légitimes à y contribuer.

On dit souvent qu’un dessin vaut mieux qu’un long discours… Moi la première, je suis curieuse de voir ce que ça donne. Mais n’étant vraiment pas douée pour le dessin, je vais vous lire un texte. Écrit par une femme. Évidemment :) Il s’agit d’un poème. Ou d’un slam ? Je ne sais pas comment elle dirait. Elle s’appelle Clotilde de Brito. Voici son texte


Flaz, 18 septembre 2022, fête militante du 18è, Paris